Les annonces des Nations Unies pour l'utilisation de la recherche et des résultats scientifiques
Pluts Septembre 2023
Les espoirs d’atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD) sont assombris par les multiples embuches et les lacunes dans la mise en œuvre des actions aussi bien dans les pays en développement que dans des pays développés comme le Canada[1][2]. Alors que les Nations Unies et les décideurs politiques discutent déjà des objectifs de l’après 2030, il est prouvé que de nombreux résultats de recherche qui pourraient aider à atteindre les ODD ne sont pas utilisés[3]. Les choses pourraient changer bientôt. En effet, depuis peu, par diverses sorties l’ONU exprime son engagement pour la promotion de l’utilisation des sciences et des résultats de la recherche. Cependant, quelques éléments nous autorisent à prendre ces annonces avec un esprit beaucoup plus critique et des précautions.
Très souvent, avant comme après la création de l’ONU, les scientifiques ont joué le rôle de lanceurs d’alerte, essayant d’apporter des éléments d’analyse des situations en vue de réorienter les actions dans un sens profitable à l’humanité et à la paix[4], [5]. Aussi, depuis sa création les Nations Unies ont marché de pair avec le monde de la recherche et de la science. Toutefois, il est important de rappeler que la première déclaration des Nations Unies de janvier 1942 était plus une déclaration de guerre qu’une déclaration de paix ; plus une déclaration d’exclusion que d’union[6]. Elle décidait en effet du non-partage de ressources, d’information y compris sans aucun doute la science avec une partie du monde à savoir les forces hitlériennes et affiliées.
L’UNESCO qui en est l’organe de promotion de la science, décrètera plus tard que les résultats de la recherche et de la science sont des biens communs. L’organisation attirera aussi l’attention sur la nécessité de promouvoir l’égalité d’accès aux ressources et emplois scientifiques et l’abolition des inégalités d’opportunité[7]. Cependant l’ONU et plus spécifiquement les nations qui ont les pouvoirs de décision sont restées dans la logique de la première déclaration : le savoir ne sera jamais suffisamment partagé et les efforts pour le faire resteront toujours aux minima. La publication de 2018[8] pour une meilleure perspective de l’agenda 2030 sur le développement durable fut une avancée. Reconnaissant la faiblesse de l’utilisation des résultats de la recherche pour la prise de décision politique, cette publication donnait l’espoir qu’un rééquilibrage finirait par émerger. Cependant la récente annonce par le Secrétaire Général António Guterres de la mise en place d’un Conseil consultatif scientifique[9] qui donne à cet élan un caractère pressant nous laisse sur notre soif sur beaucoup de plans. Ce conseil composé de seulement sept scientifiques externes ne changera rien à l'exclusion systémique des pays moins puissants et de leurs préoccupations.
Un conseil scientifique, comme tout groupe humain, est après tout un groupe de lobbies ayant le pouvoir d'orienter la décision de l'autorité ou de l'individu qui l'a mis en place. Il est certain que dans ce cas, le Conseil est censé être un lobby du bien et de la bienfaisance. Nous ne doutons pas de la compétence des scientifiques. Cependant, dans une organisation telle que l'ONU, il est nécessaire de s'assurer que tous les continents sont représentés de manière égale. Contrairement à la Charte des Nations Unies[10] qui préconise une répartition géographique équitable pour l'identification des membres non-permanents du Conseil de sécurité, on constate un manque alarmant d’équité en termes de représentativité continentale au sein de ce nouveau conseil consultatif. Comme exemple, beaucoup d’acteurs qui reconnaissent le pouvoir de ces instruments ont appelé à une plus grande inclusion de l'Afrique dans les conseils de santé mondiaux[11]. Pour renforcer l'équité géographique, nous pensons que deux représentants par continent au sein du groupe externe du Conseil consultatif scientifique établi par le Secrétaire général serait la meilleure solution.
Nous espérons que ce Conseil contribuera à faire en sorte que les résultats de la recherche deviennent réellement des biens communs. Le partage inéquitable des résultats de la recherche, tel qu'il a été vécu lors de la récente pandémie de Covid-19, témoigne de l'exclusion systémique. Comme le soulignait le Dr Tedros, Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur la mise en place d’un cadre pour la prévention et la préparation aux pandémies : "la nouvelle architecture mondiale ne peut être conçue, construite ou gérée par ceux qui ont le plus de pouvoir, d'argent et d'influence. Elle doit être conçue, construite et gérée par tous les États membres et partenaires dans le cadre d'un processus véritablement inclusif"[12]. Avec l'avènement de la Covid-19, nous avons commencé à nous demander si une autre déclaration, similaire à la première déclaration des Nations Unies n'avait pas été faite pour demander que les bénéfices de la recherche sur les vaccins ne soient pas partagés avec les pays africains. Finalement, c'est lorsqu'ils ne voulaient plus d'un type de vaccin spécifique, ou lorsque ceux-ci étaient sur le point d'expirer, que le cœur de générosité des pays développés a commencé à leur parler. Peut-être cherchaient-ils simplement des pays-poubelles ou plutôt des corps-poubelles pour leurs vaccins bientôt périmés. Sans surprise, au stade initial, les efforts et la contribution à l'initiative Covax sont restés symboliques, ce qui s'est traduit par une couverture vaccinale Covid-19 disproportionnée à l'échelle mondiale[13].
Le nouveau Conseil établi par le Secrétaire Général des Nations Unies doit inclure des experts sur le thème de la guerre et des crimes de guerre. Il est nécessaire de se souvenir des ravages causés par l'utilisation du gaz moutarde, de l'agent orange et d'autres armes chimiques sur les êtres humains, l'environnement et la faune. Il ne faut pas oublier les innombrables bombes non explosées disséminées dans le monde. Jusqu'à ce que la mise en œuvre complète de la convention sur les armes chimiques [14] porte tous ses fruits, il convient de rester vigilant. Les règles suggèrent que les armes ne doivent pas être utilisées lorsque l'ampleur des dommages qu'elles peuvent causer n'est pas connue et qu'elles ne peuvent pas faire la distinction entre les civils et les combattants. L'utilisation de nouvelles armes ne doit pas violer les règles de la guerre et les lois internationales[15]. L'utilisation des résultats de la recherche sur les armes est actuellement préoccupante dans de nombreuses zones de conflit. La situation actuelle de guerre donne l'occasion aux différentes armées de tester de nouvelles armes sur des combattants réels ou supposés des camps adverses. En ce qui concerne les guerres et les armes, le comité consultatif sera plus efficace s'il comprend aussi des experts connaissant bien le sujet du viol utilisé comme arme de guerre.
Il ne fait aucun doute que les différentes agences des Nations unies ont une approche plus qu'encourageante de l'utilisation des résultats de la recherche. Cependant, à l'échelle mondiale et en ce qui concerne les questions de gouvernance mondiale, il reste encore beaucoup à faire en termes de partage des fruits de la recherche et d’inclusion dans les cadres et processus décisionnels. Le changement est possible, mais seulement si les intérêts de chacun des huit milliards d'habitants de la planète sont exprimés par des délégués représentatifs sur le plan géographique, culturel et thématique. Pour les pays en développement, il est important que les engagements internationaux tels que ceux inclus dans la Déclaration sur l'utilisation du progrès scientifique et technique dans l'intérêt de la paix et au profit de l'humanité [16] soient respectés. Le récent sommet du G77+la Chine tenu à La Havane sous le thème « rôle de la science, de la technologie et de l'innovation » dans le développement en présence de Guterres lui-même est un appel fort dans ce sens.
[1] AU, UNECA, AFDB & UNDP (2022) Africa sustainable development report 2022. Building back better from the coronavirus disease (Covid-19) while advancing the full implementation of the 2030 agenda for sustainable development.
[2] Bureau du Vérificateur Général du Canada (2021). Rapports du commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du Canada. Rapport 1- La mise en œuvre des objectifs de développement durable des Nations Unies. Rapport de l’auditeur indépendant.
[3] Nature, (2023). Editorial The world’s goals for saving humanity are still the best option. Nature, 621 p227-229.
[4] Einstein A. & Freud S. (1932). Albert Einstein et Sigmund Freud: correspondance sur la guerre. Science et guerre - Impact Science et Société - 26(1/2) pp 31-32. Les presses de l’Unesco.
[5] Unesco (1976). Le manifeste Russell-Einstein. Science et guerre - Impact Science et Société 26(1/2) pp 17-19. Les presses de l’Unesco.
[6] UN (1942). Déclaration des Nations unies.
[7] UNESCO (2018). Recommendation on science and scientific researchers.
[8] Dumitriu P. (2018). Strengthening poicy research uptake in the context of the 2030 agenda for sustainable development. JIU/REP/2018/7. United Nations - Joint Inspection Unit Geneva.
[9] UN (2023). Scientific Advisory Board for Independent Advice on Breakthroughs in Science and Technology. https://www.un.org/sg/en/content/sg/personnel-appointments/2023-08-03/scientific-advisory-board-for-independent-advice-breakthroughs-science-and-technology
[10] UN - United Nations Charter. https://www.un.org/en/about-us/un-charter/full-text.
[11] Silva M. R. C e, Oduro-Bonsrah P., Wambui P., Chakroun M. (2023). Strengthening Africa's voice on boards of global health initiatives. Lancet, 402, 10403, P677-678.
[12] Cullinan K. (2023). As UN Pandemic Talks Resume, Tedros Expresses ‘Concern’ About Slow Pace of Accord Negotiations. Health Policy Watch. https://healthpolicy-watch.news/as-un-pandemic-talks-resume-tedros-concern-about-slow-pace-of-accord-negotiations/
[13] Usher A. D. (2021). ACT-A: “The international architecture did not work for us” Lancet, 400, (10361), p1393-1394.
[14] OPCW (2020). Convention sur l’interdiction des armes chimiques. Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons. https://www.opcw.org/chemical-weapons-convention/download-convention
[15] ICRC (2002). Lesson 5- The law of armed conflict- Weapons. International Committee of Red Cross. Unit for relations with armed and security forces. https://www.icrc.org/en/doc/assets/files/other/law5_final.pdf
[16]UN (1975). Declaration on the Use of Scientific and Technological Progress in the Interests of Peace and for the Benefit of Mankind. https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/declaration-use-scientific-and-technological-progress-interests